Cours, séquence E
"Pourquoi évangéliser ?"
1. LE VOCABULAIRE DU NOUVEAU
TESTAMENT
a/ euaggelizomai b/ khrussw c/ marturew d/ didaskw e/ quelques autres vocables |
Sélectionner un vocabulaire à l'intérieur du
Nouveau Testament n'est évidemment pas neutre. En effet,
la recherche va se faire dans des contextes narratifs ou
didactiques dont on estime qu'ils nous informent sur
notre sujet. Ainsi, le choix des mots que l'on veut
étudier dépend déjà de l'idée a priori que l'on se
fait de l'évangélisation. Pour réduire cette part de
subjectivité, on opère un mouvement de va et vient
entre le chercheur et le texte, et c'est donc par une
série d'ajustements qu'on peut espérer se mettre
réellement sous l'autorité du Nouveau Testament. C'est
ce processus (dont je vous fais grâce !) qui m'a amené
à retenir et à proposer à votre étude les concepts
suivants. a/ LA PORTE D'ENTREE : le verbe euaggelizomai (euanguélizomaï) - signification naturelle : "évangéliser"
(puisque notre mot est une simple adaptation du verbe
grec) Comme en français, le verbe est construit à partir
du mot "évangile", soit euaggelion
(euanguélion) en grec. Dans le contexte de l'époque, le substantif et le verbe sont employés par exemple lors de l'annonce d'une victoire militaire ou lors de l'accession au trône d'un nouvel empereur. Mais la "bonne nouvelle" c'est aussi une heureuse communication des dieux. On trouve cet usage du verbe dans le N.T. notamment dans les récits qui entourent la naissance de Jésus : Luc 1/19 ou 2/10. Le verbe est fréquemment utilisé avec un complément
précisant le contenu de l'annonce (ce qui n'est jamais
le cas en français : le verbe évangéliser présupose
déjà le contenu et écarte de fait ce type de
complément). Et donc, pour le N.T., évangéliser, c'est
communiquer la Bonne Nouvelle (euaggelion)
dont le contenu essentiel correspond au message chrétien
fondamental. Le verbe ne nous dit pas sur quel mode de communication on se situe précisémment, mais les contextes montrent bien cependant qu'il s'agit toujours d'une communication verbale (cf. Mt 11/5). Notons enfin que le substantif "évangélisation" n'existe pas dans le N.T. |
b/ L'ACTION
D'EVANGELISER au travers du verbe khrussw (kérusso) Evangéliser s'accomplit premièrement en "prêchant". C'est là le sens en effet du verbe khrussw (kérusso) qui apparaît 59 fois dans le N.T. Mais quelle est exactement l'action décrite par ce verbe ? James Packer pense qu'euaggelizomai
et khrussw sont
quasiment interchangeables. Je ne le suivrai pas tout à
fait sur ce point. Quelques indices montrent que
prêcher, c'est déjà un moyen/une modalité de l'acte
général d'évangéliser. Il existe par ailleurs un décalage entre le sens du verbe français "prêcher" et son équivalent grec. Les passages de Marc 1/45 ou 7/36 sont à ce sujet instructifs. L'action de ces deux hommes ressort pour nous du témoignage, ici c'est le verbe khrussw qui est utilisé. Ceci montre bien que khrussw désigne avant tout une forme de communication. "Prêcher" c'est proclamer à la manière d'un héraut, avec tambours et trompettes ! C'est une communication qui, dans un sens, n'est pas faite pour être discutée, mais pour être accueillie (cf. 1 Cor 15/3-12). Celui qui prêche est un annonceur ; il dit des choses qui sont. Seul l'incrédule peut s'opposer à ce qu'il dit. Notons enfin que ces deux verbes (euaggelizomai et khrussw), si importants soient-ils dans le N.T. demeurent pourtant totalement absents de la littérature johannique - Apocalypse exceptée. Ce phénomène peut nous conduire à deux sortes de conclusion : soit Jean ne parle pas d'évangélisation ; soit il en parle mais avec un autre vocabulaire. Et c'est ce que nous allons voir. |
c/ L'ACTION
D'EVANGELISER au travers du verbe marturew (marturéo) L'action
d'évangéliser se dit également au moyen du verbe marturew et ses satellites marturia (marturia), marturion (marturion) et martus (martus). Le verbe apparaît plus de 70 fois dans le N.T., et 45 fois dans la seule littérature johannique ! Il s'agit donc bien du vocabulaire favori de Jean pour exprimer cette communication du salut qui vient de Dieu. Ce n'est certes pas un vocabulaire spécifiquement chrétien, et le N.T. utilise ce langage quelquefois sans rapport avec la question de l'évangélisation, mais chez Jean notamment son usage est quasiment "consacré". C'est un terme qui a d'abord une connotation juridique et il est quelquefois présent dans l'Ecriture, dans son cadre naturel comme en Actes 22/5 : "Le Grand-Prêtre et l'assemblée des anciens peuvent témoigner que je dis la vérité". Le sens premier est donc là : témoigner, c'est apporter un élément externe qui vient confirmer un dire, qui vient attester la véracité d'une parole, d'une annonce. Ainsi, en Actes 10/43, les prophètes, par leurs écrits, attestent/témoignent que Jésus est vraiment celui qui libère du péché. Jésus lui-même définit bien les conditions du vrai témoignage en Jean 5/31-32. L'individu ne peut pas témoigner de lui-même, il faut qu'un élément (ou une personne) externe témoigne en sa faveur, confirme ses dire. Et on en arrive à cette curieuse remarque en ce qui
concerne l'usage du verbe en rapport avec la transmission
de l'Evangile : c'est bien plus souvent Dieu qui est le
sujet du verbe que l'homme ! Si donc l'action de "témoigner" a rarement
les hommes pour sujet, par contre les croyants sont
clairement appelés à "porter le témoignage"
(marturia ou marturion) - non pas leur
témoignage mais le témoignage !
Cette compréhension des choses est rigoureusement appliquée dans le N.T. En effet, nous ne voyons jamais les disciples "témoigner" avant que l'oeuvre du Christ ait été accomplie et que son Esprit ait été donné. Ainsi, d'une manière stricte, seul Jésus est le "témoin fidèle" (Ap 1/5). En lui, Dieu se rend témoignage à lui-même. Mais en Christ, le martyr (martus) peut rendre aussi un fidèle témoignage (Ap 2/13). L'auteur de la lettre aux Hébreux étend en effet cette notion de témoins à tous les héros de la foi (Héb 12/1). Il y a donc un enseignement biblique assez subtil sur
cette question. Si nous sommes appelés à témoigner
c'est parce que Dieu témoigne à travers nous. Dieu peut
se rendre un fidèle témoignage à travers ses
témoins. C'est peut-être cette réalité qui a incité
Luc a préférer très nettement le verbe diamarturomai (diamarturomaï) à marturew (exemple : Act 8/25). |
d/ L'ACTION D'EVANGELISER
au travers du verbe didaskw
(didasko) Un quatrième concept tient une grande place dans le descriptif de l'évangélisation, c'est le verbe didaskw que l'on traduit ordinairement par "enseigner" ou "instruire". 95 emplois dans le N.T. C'est le verbe favori pour désigner l'activité de
parole de Jésus : Jésus enseignait dans les synagogues, dans le Temple,
et en plein air. Il enseignait tout public, les disciples
comme les foules. On n'a pas d'affirmation explicite
signifiant qu'il aurait enseigné des Grecs, des Romains,
ou même des autorités religieuses, mais dans la mesure
où certains furent présents dans les foules, cela est
plus que probable. Pour ce qui est des disciples, à l'exception près de
Marc 6/30, ils n'enseignent jamais au cours du ministère
terrestre de Jésus... alors que durant cette période
ils évangélisent en annonçant le Royaume et en
prêchant. Nous sommes là devant le même phénomène
qu'en ce qui concerne l'action de "témoigner".
Il est remarquable d'ailleurs que ces deux aspects
(l'enseignement et le témoignage) sont ouverts par
Jésus lui-même au moment où il se sépare de ses
disciples : Mt 28/20, Act 1/8. L'enseignement apparaît donc comme une modalité de
la parole d'évangélisation (et une modalité
importante, peut-être même fondamentale ; voir le
propos de Paul en 1 Timothée 2/7, qui se considère
comme "l'enseignant des païens").
L'enseignement diffère de la simple annonce, ou du
prêche sur plusieurs points : |
e/ QUELQUES AUTRES VOCABLES Pour être à peu près complet, il faut évoquer brièvement quelques autres verbes. Certains sont très peu précis et n'apportent en conséquence guère d'informations sur notre sujet. C'est le cas de legw (légo), de lalew (laléo) et quelques-uns de leurs compagnons dont le sens est rendu par le banal "parler", ou encore par "dire". Il y a également les verbes de la famille d'aggelw (anguélo) : anaggelw (ananguélo), apaggelw (apanguélo), kataggelw (katanguélo). Malgré les changements de préfixes dont chacun d'eux a un sens particulier, l'usage de ces différents vocables ne révèlent pas de spécificité ; ils apparaissent comme étant interchangeables. En français c'est le verbe "annoncer" qui en constitue la traduction passe-partout. Quelques vocables moins usités sont en revanche plus instructifs : - parrhsiazomai (paressiazomaï) - 9 emplois dans le N.T. - le sens est celui-ci : "parler avec assurance", ou bien "parler librement", "clairement", sans tourner autour du pot ! Il est donc fort intéressant de trouver ce verbe en situation d'évangélisation. Voir : Act 9/27, 9/28, 13/46, 14/3, 18/26, 19/8, 26/26, Eph 6/20 et 1 Thess 2/2. - suzetew (suzétéo) - 10 emplois dans le N.T. Le sens étymologique serait en fait "chercher ensemble", mais l'usage montre qu'il s'agit le plus souvent d'une recherche conflictuelle, d'une controverse. Il peut être traduit par "discuter" ou même "disputer". Voir Act 6/9, 9/29... - dialegomai (dialegomaï) Ce verbe met également l'accent sur les échanges de paroles. On le traduit par "s'entretenir", "dialoguer" ou "discuter". 13 emplois dans le N.T. Voir Act 17/2 et 17/17. - peiqw (peïto) :
plusieurs significations possibles, mais à la forme
transitive il communique l'idée d'une communication
persuasive. Il est traduit par "persuader" ou
"convaincre" (voir Mt 27/20). Utilisé en
contexte d'évangélisation, il apporte une note bien
spécifique et contribue ainsi à éclairer ce concept
d'évangélisation. - maqhteuw (mathéteuo) : "faire des disciples". Ce verbe à la signification particulière est rare, il est cependant très instructif en Mt 28/19 et Act 14/21. |
Lectures complémentaires
à télécharger
de James I. Packer
: "Qu'est-ce que l'évangélisation ?" in Hokhma n°24, 1983 (voir note ci-dessous) ; pages 33 à 47 |
document RTF de 54 ko |
Note
: plusieurs articles ou extraits d'articles proposés
dans ce site sont issus de la revue Hokhma
dont le premier numéro date de 1976. Pour 18 euros, vous
pouvez vous abonner à cette très intéressante revue de
théologie qui paraît trois fois par an. Adresse pour la
France : Hokhma, c/o Croire Publications, 48, rue de Lille, F-75007 Paris. |