Cours, séquence E
"Pourquoi évangéliser ?"
2. QU'EST-CE QU'EVANGELISER ?
a/
s'adresser à un public non encore évangélisé
b/
faire connaître le "mystère" c/ viser la conversion de la personne d/ une volonté de persuasion e/ les signes qui accompagnent |
a/ S'ADRESSER A UN PUBLIC NON ENCORE
EVANGELISE Evangéliser consiste donc à
communiquer sous différentes formes la Bonne Nouvelle du
salut, ou tout au moins quelque élément constitutif de
cette Bonne Nouvelle. Cette définition toute simple
n'est pas fausse, mais elle va s'avérer très
insuffisante. Si on répond "oui" à tout ; le poisson est
noyé. L'évangélisation n'a plus de traits
spécifiques. N'importe quelle communication (explicite
ou implicite) qui véhicule un contenu chrétien ou qui
exprime la foi peut se parer du titre. C'est bien ce que l'on perçoit dans le N.T. au travers des verbes euaggelizomai (euanguélizomaï) et tous ceux de la famille d'aggellw (anguélo). Il s'agit d'annoncer une "nouvelle", c'est-à-dire un message nouveau parce que quelque chose de fondamentalement nouveau est arrivé. C'est un message nouveau pour les Juifs (Mt 9/17)... et ainsi les Juifs doivent être évangélisé (Luc 4/43, 20/1, Act 5/42). Et bien entendu, c'est aussi un message nouveau pour les païens. Ainsi tous doivent recevoir cette nouvelle, tous doivent être évangélisés (voir Eph 2/17 dans lequel se trouve le verbe euaggelizomai). Selon ce critère, Paul est l'évangéliste par excellence : "J'ai tenu à annoncer la Bonne Nouvelle (euaggelizestai) uniquement dans les endroits où l'on n'avait pas entendu parler du Christ, afin de ne pas bâtir sur les fondations posées par quelqu'un d'autre et d'agir selon ce que déclare l'Ecriture : 'Ceux à qui on ne l'avait pas annoncé le verront, et ceux qui n'en avaient pas entendu parler comprendront" (Rom 15/20-21). Cela dit, nous ne pouvons cantonner l'évangélisation
dans l'acte qui consiste à annoncer l'Evangile pour la
première fois à une personne qui ne l'avait jamais
entendu auparavant. Le principe est clair, mais
l'application est subtile :
- Il y a évangélisation également lorsque la non-adhésion paraît être liée à une connaissance déformée du message chrétien (légalisme, syncrétisme, amalgame avec le passé ambigu de la chrétienté, ou fausses informations comme dans l'islam). Rétablir les faits et le message réel est tout à fait assimilable au processus qui vise à faire connaître ces choses à partir d'une totale méconnaissance. Il y a révélation d'un fait nouveau qui peut changer totalement l'attitude d'une personne. En résumer pour ce premier point : évangéliser, c'est annoncer la Bonne Nouvelle du salut à un public qui ne la connaît pas, ou bien qui ne la connaît que partiellement ou de manière déformée. |
b/ FAIRE
CONNAITRE LE "MYSTERE" Il
y a une tendance actuelle qui consiste à penser que
chaque fois que quelqu'un fait quelque chose de bon, il
évangélise ; qu'il y ait parole ou pas ; que cela
vienne d'un chrétien ou non Savoir nouveau parce que l'Evangile
n'existe pas naturellement dans le coeur ou la conscience
des hommes (cf. 1 Cor 2/9, Luc 10/21-24). Même l'amour (agaph-
agapè) ne nous est pas connu de manière naturelle (1 Jn
3/16). L'Evangile est au-delà de nous et c'est pourquoi
le thème du mystère (musthrion -
mustèrion) révélé par Christ, par l'Esprit, puis par
la prédication apostolique est très présent dans le
N.T. (voir Mc 4/11, Rom 16/25-26, 1 Cor 4/1, Eph 6/19). Pour mener cette enquête, on peut tout
d'abord relever dans le N.T. les notions qui sont souvent
mise en complément des verbes étudiés dans le cours
n°1. On constate que le vocabulaire n'est pas
stéréotypé. Il y a beaucoup de façon de dire les
choses, néanmoins toutes les désignations qui
visent la personne de Jésus (Jésus, le
Christ-Jésus, Jésus-Christ, Jésus le Fils de Dieu, le
Seigneur...) constitue le choix le plus fréquent : 33
récurrences. Viennent ensuite 4 notions : Mais pour aller plus loin, pour essayer
de percer ce qu'il y a derrière ces notions, il faut
analyser les discours, les messages d'évangélisation
que l'on trouve dans le N.T. Ainsi, avec d'autres
exégètes qui se sont lancés dans ce travail on part à
la découverte du "kérygme" primitif, de ce
message originel sur lequel s'est bâti la première
Eglise. Le kérygme primitif selon C.H. DODD (in
"La prédication apostolique et ses
développements") Ce résultat est critiquable et a été
critiqué, cependant on y retrouve les grands thèmes
déjà dégagé dans le paragraphe précédent : le
Christ / le Royaume / la repentance. En conséquence, on ne peut définir a priori les éléments constitutifs d'une démarche d'évangélisation, le contexte jouant un rôle trop important. Cependant il semble possible d'affirmer que pour qu'il y ait évangélisation, il faut qu'il y ait une volonté de "révéler le mystère", avec une communication centrale et des éléments annexes qui, le cas échéant, peuvent être très important pour une juste comprehension du centre. A partir des informations mentionnées ci-dessus on peut figurer ceci de cette manière :
|
c/ VISER
LA CONVERSION DE LA PERSONNE Un des trois éléments centraux demande à ce qu'on s'y arrête car il constitue une particularité très éclairante en ce qui concerne la recherche d'une définition de l'acte d'évangéliser. Il s'agit de l'appel à la conversion (ou repentance). C'est une particularité/ singularité du message en ce sens qu'il ne s'agit pas seulement d'une information mais également d'une interpellation. L'auditeur de la Bonne Nouvelle est appelé à réagir en fonction des informations nouvelles qui lui sont communiquées. Le N.T. se sert de deux concepts pour dire le contenu de cette interpellation : Tout d'abord la notion de metanoia
(métanoia, traduit "repentance") Etymologiquement la metanoia pourraît
désigner ce qui est en arrière-fond de la pensée, mais
dans l'usage le mot désigne plutôt une transformation
de cet arrière-fond. C'est une transformation de la
pensée qui change le jugement que l'on porte sur une
chose. Ce changement n'a pas toujours un caractère
moral, mais dans le contexte de l'annonce de l'Evangile,
la metanoia c'est ce qui va
permettre de voir le péché en soi-même, c'est-à-dire
de le considérer vraiment comme péché. Ainsi
Jean-Baptiste, puis Jésus, sont venus appeler des
pécheurs à la metanoia, c'est-à-dire
à la clairvoyance sur leur état (Luc 5/32). Si la metanoia est d'abord une réalité intérieure/ mentale, celle-ci ne peut avoir lieu sans que se produisent des changements extérieurs visibles (voir Mt 3/8, 2 Cor 7/10-11, Ap 2/5). C'est dans cette logique qu'apparaît le deuxième concept. Le verbe epistrefw (épistrépho)
qui dans l'usage profane veut dire "revenir",
"ramener", ou "se retourner" est
traduit en contexte religieux par "convertir"
ou "se convertir". Contrairement à metanoia/ metanoew, le verbe epistrefw garde souvent, dans le
N.T., son sens ordinaire. Sur 35 occurrences, une
quinzaine seulement décrivent une démarche spirituelle.
Ce n'est donc pas un concept théologique (même si
déjà l'A.T. l'utilise pour exprimer une démarche de
foi comme en Esaïe 6/9-10, cité en Mc 4/12) mais un mot
du langage ordinaire qui par son caractère concret
complète heureusement la notion de metanoia.
Les deux mots sont d'ailleurs utilisés quelquefois
simultanément (Act 3/19). On remarquera que le substantif "conversion"
(epistrofh - épistrophé) ne
figure qu'une seule fois dans le N.T. (Act 15/3), et les
termes de "repenti" et de "converti"
sont absents. Et ici s'ouvre un débat sur la nature
même de cette démarche. En effet, si le N.T. semble ne
pas vouloir nommer les chrétiens comme ceux qui sont
passés par la repentance/conversion, est-ce à dire que
ces concepts désignent une réalité toujours à
conquérir mais jamais acquise ? En d'autre termes on se
trouve là devant deux spiritualités : La position évangélique a de bons appuis textuels : Sa faiblesse consiste à ignorer l'usage de metanoew en contexte d'Eglise (Ap 2/5) et sans doute aussi à trop vouloir identifier les signes extérieurs ainsi que le moment de cet événement. L'expérience (exceptionnelle) de Paul sur le chemin de Damas est devenu le paradygme de la conversion chrétienne. Mais qu'en est-il de Pierre (voir Luc 22/32) ? Quand s'est-il repenti et converti ? La réponse est moins simple. La conversion s'inscrit bien souvent dans un processus de rapprochement vis-à-vis du Christ qui peut comporter plusieurs étapes. La position catholique manque assurément l'essentiel, mais elle n'est pas entièrement fausse dans la mesure ou repentance et conversion ne peuvent être cantonné au passé, mais doivent faire parti de la vie chrétienne. Il ne s'agit pas seulement de venir au Christ, il faut également demeurer en Christ. Ce "demeurer en Christ" implique de demeurer dans l'esprit de la repentance et de la conversion. L'expérience fondatrice doit aussi être celle de tous les jours... et celle de tous les jours est rendu possible grâce à l'expérience fondatrice. Semper peccator, semper justus, semper penitens, le propos de Luther est pertinent. Lorsque le chrétien oublie cette réalité, il s'égare vite dans le légalisme et l'auto-justification, pouvant même faire de "sa conversion" la première de ses oeuvres de propre justice. Ce point étant acquis, il faut terminer ce chapitre
en soulignant le fait : l'appel à la conversion fait
partie du kérygme, du message de
l'évangélisation. Ce n'est pas une méthode externe
qu'on va rajouter au message pour obtenir des résultats
visibles... et des adhésions à mon Eglise ! Cet appel
fait partie de l'essence même du message. Par 10 fois,
on l'a vu, la repentance/conversion sert à désigner le
contenu même de la nouvelle à annoncer. "Il faut
que la repentance (metanoia)
et le pardon des péchés soient prêchés à toutes les
nations" (Luc 24/47) |
d/ CHERCHER
A PERSUADER Du point précédent on pourra
déjà tirer argument pour mettre en évidence le fait
que la parole d'évangélisation ne saurait être une
simple information à prendre ou à laisser. Le message a
nécessairement une dimension existentielle/relationnelle
puisqu'il vise la conversion de l'autre. Il implique donc
chez celui qui le porte une volonté, un désir de persuader. Ce point fait quelquefois peur ! On pense aux Témoins
de Jéhovah et à toutes sortes de manipulations
psychologiques. Ces débordements malsains ne doivent
cependant pas masquer une réalité bien fondée dans le
N.T.. Le verbe peiqw (peïto =
persuader, convaincre) fait parti de la panoplie des mots
décrivant l'évangélisation comme nous l'avons vu dans
le premier cours. Paul cherchait à convaincre
aussi bien les Juifs que les Grecs (Act 18/4). Cette réalité se traduit dans le N.T. par... C'est ici le fondement de cette branche de la théologie qu'on appelle l'apologétique. Il ne s'agit pas de prouver Dieu et la véracité de l'Evangile (seul le Saint-Esprit donne cette conviction) mais, au moyen de l'argumentation, de rendre le message biblique crédible/plausible. Des ses origines le christianisme a été l'objet d'attaques et de critiques visant à ridiculiser ou tout au moins à rendre non crédible son message. Pour faire face à cela il fallait entreprendre une défense de la vision chrétienne du monde sur le terrain même où elle était attaquée. C'est ce que firent avec beaucoup de brio les "Père apologètes" des premiers siècles du christianisme : on peut citer ici, parmi beaucoup d'autres, Justin Martyr, Méliton de Sardes, Clément d'Alexandrie, Tertullien et Origène. Par la suite, le christianisme étant devenu un fait de société, cette veine apologétique cessa d'être au premier plan des préoccupations chrétiennes. Or, depuis deux siècles, le phénomène de sécularisation de l'Occident a laissé la place à de nouvelles idéologies non-chrétiennes plus ou moins opposées aux principes fondamentaux sur lesquels reposent la foi chrétienne. Il y a donc une impérieuse nécessité à ce que les chrétiens réinvestissent le champ de l'apologétique, qu'ils soient armés pour pouvoir "défendre l'Evangile" comme Paul lui-même le faisait (Phil.1/7 et 1/16 où se trouve le mot "apologie") et comme Pierre nous y exhorte (1 Pi.3/15). |
e/ LES SIGNES
QUI ACCOMPAGNENT L'évangélisation est d'abord et fondamentalement une communication par le moyen de la parole verbale. Mais la question qui se pose c'est de savoir si l'évangélisation n'est que cela, ou bien si elle implique également une action/ des gestes/ un faire particulier ? Si oui, quel est cette action, quelle est son importance ? Trois courants théologiques s'affrontent ici et nous allons brièvement les évoquer et évaluer leurs conclusions. La ligne évangélique (souvent revivaliste)
: très fort accent sur la parole ; le "faire"
est considéré comme une annexe facultative. Le troisième courant peut être rapidement réfuté.
La majoration du "faire" et surtout la
minimisation du "dire" ne supporte pas la
comparaison avec le N.T.. Il est frappant de constater,
dans les déclarations issues des grandes conférences
missionnaires (du COE), la quasi absence du vocabulaire
biblique sur ce sujet. En réalité, l'évangélisation a
été absorbée par ce qu'on a appelé : "la
présence au monde". La position pentecôtiste se veut plus directement
biblique et trouve facilement des appuis dans le N.T. Par
exemple :
Reste la position évangélique : évangéliser, c'est
proclamer "la Parole"... c'est un fait de
parole. Cette approche me semble juste à une
condition : c'est qu'on n'oublie pas la forte
dimension éthique du christianisme. L'incarnation
est au centre de la Bonne Nouvelle, et cela implique que
l'éthique est partout. Au contraire des religions à
mystère ou des gnoses qui peuvent se transmettre par une
seule communication verbale ou rituelle, l'Evangile de
Jésus-Christ s'incarne sans cesse dans notre
comportement, dans les gestes et les actes que nous
accomplissons. Ces gestes, ces actes, ce comportement, ne
sont pas évangélisation en eux-mêmes, mais mis en
rapport avec la proclamation de la Parole, ils vont
constituer, eux aussi, des signeaux/ signes, positifs ou
négatifs (cf. Jn 13/35, 17/21, Mt 5/14-16). Parvenu au terme de cette leçon, il est maintenant
possible de donner une définition de ce qu'est
l'évangélisation. Cette rédaction s'inspire de celle donnée en 1969 par Mikael Green : évangéliser c'est "proclamer la Bonne Nouvelle du salut aux hommes et aux femmes, en vue de leur conversion à Christ et de leur insertion dans l'Eglise". |
Lectures complémentaires
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