Cours, séquence E
"Pourquoi évangéliser ?"

2. QU'EST-CE QU'EVANGELISER ?

a/ s'adresser à un public non encore évangélisé b/ faire connaître le "mystère"
c/ viser la conversion de la personne
d/ une volonté de persuasion
e/ les signes qui accompagnent

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a/ S'ADRESSER A UN PUBLIC NON ENCORE EVANGELISE

Evangéliser consiste donc à communiquer sous différentes formes la Bonne Nouvelle du salut, ou tout au moins quelque élément constitutif de cette Bonne Nouvelle. Cette définition toute simple n'est pas fausse, mais elle va s'avérer très insuffisante.
Lorsque le professeur de théologie donne son cours à la Faculté, est-ce qu'il évangélise ?
Lorsque Robert Hossein produit un spectacle sur Jésus, est-ce qu'il évangélise ?
Lorsque le pasteur prêche le dimanche dans sa paroisse, est-ce qu'il évangélise ?
Lorsque le catéchète enseigne les enfants dans l'Eglise, est-ce qu'il évangélise ?
Lorsqu'on monte une exposition sur l'Edit de Nantes ou sur l'épopée vaudoise, est-ce qu'on évangélise ?
Lorsqu'on participe à une opération charitative (resto du coeur ou autre), est-ce qu'on évangélise ?

Si on répond "oui" à tout ; le poisson est noyé. L'évangélisation n'a plus de traits spécifiques. N'importe quelle communication (explicite ou implicite) qui véhicule un contenu chrétien ou qui exprime la foi peut se parer du titre.
A l'inverse, si on dit non à tout, c'est peut-être parce qu'on a une vision trop formaliste ; attachée à quelques méthodes qui constituent pour nous "l'évangélisation" et hors desquelles il n'existe rien qui puisse être revêtu de ce nom.
La vérité sur cette question est certainement de l'ordre des vérités "souples", il n'empèche que quelques critères peuvent nous aider à exercer un jugement profitable quant à notre propre engagement chrétien, voire à celui de notre Eglise. Dans les points suivants, on va voir quelques uns de ces critères, mais le tout premier, celui sur lequel repose tous les autres, est celui-ci : évangéliser, c'est communiquer la Bonne Nouvelle du salut à des personnes qui ne l'ont pas encore entendue !

C'est bien ce que l'on perçoit dans le N.T. au travers des verbes euaggelizomai (euanguélizomaï) et tous ceux de la famille d'aggellw (anguélo). Il s'agit d'annoncer une "nouvelle", c'est-à-dire un message nouveau parce que quelque chose de fondamentalement nouveau est arrivé. C'est un message nouveau pour les Juifs (Mt 9/17)... et ainsi les Juifs doivent être évangélisé (Luc 4/43, 20/1, Act 5/42). Et bien entendu, c'est aussi un message nouveau pour les païens. Ainsi tous doivent recevoir cette nouvelle, tous doivent être évangélisés (voir Eph 2/17 dans lequel se trouve le verbe euaggelizomai).

Selon ce critère, Paul est l'évangéliste par excellence : "J'ai tenu à annoncer la Bonne Nouvelle (euaggelizestai) uniquement dans les endroits où l'on n'avait pas entendu parler du Christ, afin de ne pas bâtir sur les fondations posées par quelqu'un d'autre et d'agir selon ce que déclare l'Ecriture : 'Ceux à qui on ne l'avait pas annoncé le verront, et ceux qui n'en avaient pas entendu parler comprendront" (Rom 15/20-21).

Cela dit, nous ne pouvons cantonner l'évangélisation dans l'acte qui consiste à annoncer l'Evangile pour la première fois à une personne qui ne l'avait jamais entendu auparavant. Le principe est clair, mais l'application est subtile :
- Combien de temps faut-il pour qu'une personne ait été réellement évangélisée ? En Actes 5/42, l'action des disciples "enseignant et évangélisant" nous rappelle que l'enseignement est une des formes de l'évangélisation. Or, comme cela a déjà été dit, l'enseignement demande du temps, et bien souvent un suivi sur plusieurs rencontres, plusieurs jours/semaines/mois... La découverte de l'Evangile est souvent un processus qui s'étale dans le temps. On évangélise donc, non seulement ceux qui n'ont jamais entendu, mais aussi ceux qui ont entamé le processus de découverte. On peut distinguer cet enseignement-là de la pastorale auprès des chrétiens (qui implique bien sûr de l'enseignement) en ce que la conversion fait frontière entre les deux. Dans le concret cependant, un même enseignement peut quelquefois être bénéfique aux uns comme aux autres.
- Il faut bien également prendre acte du fait que le message transmis dans l'évangélisation peut être partiellement connu du destinataire. Dans un sens c'était déjà le cas des Juifs pour qui beaucoup de réalités théologiques véhiculées dans le message chrétien leur étaient connues (le Dieu miséricordieux, la nécessité d'un sacrifice pour le pardon des péchés, la résurrection des morts...etc...)

Déduction immédiate pour notre contexte : l'évangélisation en situation de post-chrétienté reste (ou redevient) une réalité. La plupart de nos contemporains ont une connaissance fragmentaire de l'Evangile, et souvent d'ailleurs une connaissance déformée... ce qui nous amène à la remarque suivante.

- Il y a évangélisation également lorsque la non-adhésion paraît être liée à une connaissance déformée du message chrétien (légalisme, syncrétisme, amalgame avec le passé ambigu de la chrétienté, ou fausses informations comme dans l'islam). Rétablir les faits et le message réel est tout à fait assimilable au processus qui vise à faire connaître ces choses à partir d'une totale méconnaissance. Il y a révélation d'un fait nouveau qui peut changer totalement l'attitude d'une personne.

En résumer pour ce premier point : évangéliser, c'est annoncer la Bonne Nouvelle du salut à un public qui ne la connaît pas, ou bien qui ne la connaît que partiellement ou de manière déformée.


b/ FAIRE CONNAITRE LE "MYSTERE"

Il y a une tendance actuelle qui consiste à penser que chaque fois que quelqu'un fait quelque chose de bon, il évangélise ; qu'il y ait parole ou pas ; que cela vienne d'un chrétien ou non
On a lu ici ou là que c'est Corneille qui aurait évangélisé Pierre, voire même que c'est la femme syro-phénicienne qui aurait évangélisé Jésus !
Il y aurait beaucoup à dire (théologiquement) sur ces exemples, mais cela montre qu'il peut y avoir un grand flou au sujet du contenu transmis dans l'acte d'évangéliser. Il s'agit de transmettre un savoir nouveau qui doit avoir pour effet la réformation de la personne, sa conversion.

Savoir nouveau parce que l'Evangile n'existe pas naturellement dans le coeur ou la conscience des hommes (cf. 1 Cor 2/9, Luc 10/21-24). Même l'amour (agaph- agapè) ne nous est pas connu de manière naturelle (1 Jn 3/16). L'Evangile est au-delà de nous et c'est pourquoi le thème du mystère (musthrion - mustèrion) révélé par Christ, par l'Esprit, puis par la prédication apostolique est très présent dans le N.T. (voir Mc 4/11, Rom 16/25-26, 1 Cor 4/1, Eph 6/19).
Dans cette optique, évangéliser c'est dévoiler le mystère. Et donc la question qui se pose à nous est celle-ci : qu'est-ce qui est constitutif de ce mystère ? Quelles sont les vérités théologiques, les faits historiques qui en sont les éléments, et que l'on devra en conséquence annoncer ?

Pour mener cette enquête, on peut tout d'abord relever dans le N.T. les notions qui sont souvent mise en complément des verbes étudiés dans le cours n°1. On constate que le vocabulaire n'est pas stéréotypé. Il y a beaucoup de façon de dire les choses, néanmoins toutes les désignations qui visent la personne de Jésus (Jésus, le Christ-Jésus, Jésus-Christ, Jésus le Fils de Dieu, le Seigneur...) constitue le choix le plus fréquent : 33 récurrences. Viennent ensuite 4 notions :
- le Royaume (de Dieu, des cieux) = 12
- la Parole (du Seigneur, de la foi, de Dieu) = 11 (évidemment, cette notion n'apporte pas d'éclaircissement)
- l'Evangile = 10 (évidemment, cette notion n'apporte pas d'éclaircissement)
- la repentance/conversion = 10

Mais pour aller plus loin, pour essayer de percer ce qu'il y a derrière ces notions, il faut analyser les discours, les messages d'évangélisation que l'on trouve dans le N.T. Ainsi, avec d'autres exégètes qui se sont lancés dans ce travail on part à la découverte du "kérygme" primitif, de ce message originel sur lequel s'est bâti la première Eglise.
Première remarque : loin des approches existentialistes qui ont tenté de montrer que l'Evangile était avant tout une certaine expérience religieuse et n'avait pas de contenu conceptuel précis, il semble bien au contraire que ce kérygme existait comme une réalité définie (voir le propos de Paul en Tite 1/3).

Le kérygme primitif selon C.H. DODD (in "La prédication apostolique et ses développements")
- 1. L'ère de l'accomplissement a commencé
- 2. Il a été inauguré par le ministère, la mort et la résurrection de Jésus
- 3. En vertu de cette dernière, Jésus a été exalté à la droite de Dieu comme chef messianique du nouvel Israël
- 4. Le Saint-Esprit dans l'Eglise est signe de la puissance et de la gloire présente du Christ
- 5. L'ère messianique prendra bientôt fin avec le retour de Jésus-Christ
- 6. Le kérygme débouche sur l'appel à la repentance et la promesse du salut

Ce résultat est critiquable et a été critiqué, cependant on y retrouve les grands thèmes déjà dégagé dans le paragraphe précédent : le Christ / le Royaume / la repentance.
Mais ce qui saute aux yeux, c'est que ce kérygme est marqué par le milieu juif auquel il est destiné ! C'est un kérygme en situation. Et l'on s'aperçoit que lorsque Paul prêche aux philosophes d'Athènes ou à la population de Lystre, il aborde en premier lieu un thème qui ne figure même pas dans cette liste, à savoir celui du Dieu créateur (Act 14/15-17, 17/24-29).
Il est donc légitime de penser que le message de l'évangélisation (la révélation du mystère) prend forme en fonction de deux données fondamentales :
1/ la révélation biblique dans son ensemble ;
2/ la situation et les connaissances des destinataires du message.

En conséquence, on ne peut définir a priori les éléments constitutifs d'une démarche d'évangélisation, le contexte jouant un rôle trop important. Cependant il semble possible d'affirmer que pour qu'il y ait évangélisation, il faut qu'il y ait une volonté de "révéler le mystère", avec une communication centrale et des éléments annexes qui, le cas échéant, peuvent être très important pour une juste comprehension du centre.

A partir des informations mentionnées ci-dessus on peut figurer ceci de cette manière :

La liste des thèmes mentionnés en périphérie dépend des contextes. Quelques sujets importants ont été choisis, mais cela dépend du destinataire. D'autres qui ne sont pas mentionnés ici peuvent apparaître nécessaires dans certaines situations.

La question de savoir si l'Eglise faisait partie du centre a été souvent discutée, mais il faut certainement répondre par l'affirmative ; ce qui est aussi l'avis de J. Packer. Devenir chrétien, c'est devenir membre de l'Eglise de Jésus-Christ.


c/ VISER LA CONVERSION DE LA PERSONNE

Un des trois éléments centraux demande à ce qu'on s'y arrête car il constitue une particularité très éclairante en ce qui concerne la recherche d'une définition de l'acte d'évangéliser. Il s'agit de l'appel à la conversion (ou repentance). C'est une particularité/ singularité du message en ce sens qu'il ne s'agit pas seulement d'une information mais également d'une interpellation. L'auditeur de la Bonne Nouvelle est appelé à réagir en fonction des informations nouvelles qui lui sont communiquées. Le N.T. se sert de deux concepts pour dire le contenu de cette interpellation :

Tout d'abord la notion de metanoia (métanoia, traduit "repentance")
Le mot metanoia figure 22 fois dans le N.T. et le verbe qui l'accompagne (metanoew - métanoéo) est encore plus courant puisqu'on le trouve 33 fois.

Etymologiquement la metanoia pourraît désigner ce qui est en arrière-fond de la pensée, mais dans l'usage le mot désigne plutôt une transformation de cet arrière-fond. C'est une transformation de la pensée qui change le jugement que l'on porte sur une chose. Ce changement n'a pas toujours un caractère moral, mais dans le contexte de l'annonce de l'Evangile, la metanoia c'est ce qui va permettre de voir le péché en soi-même, c'est-à-dire de le considérer vraiment comme péché. Ainsi Jean-Baptiste, puis Jésus, sont venus appeler des pécheurs à la metanoia, c'est-à-dire à la clairvoyance sur leur état (Luc 5/32).
Cet appel doit être répercuté jusqu'aux extrémités de la terre (Luc 24/47).

Si la metanoia est d'abord une réalité intérieure/ mentale, celle-ci ne peut avoir lieu sans que se produisent des changements extérieurs visibles (voir Mt 3/8, 2 Cor 7/10-11, Ap 2/5). C'est dans cette logique qu'apparaît le deuxième concept.

Le verbe epistrefw (épistrépho) qui dans l'usage profane veut dire "revenir", "ramener", ou "se retourner" est traduit en contexte religieux par "convertir" ou "se convertir". Contrairement à metanoia/ metanoew, le verbe epistrefw garde souvent, dans le N.T., son sens ordinaire. Sur 35 occurrences, une quinzaine seulement décrivent une démarche spirituelle. Ce n'est donc pas un concept théologique (même si déjà l'A.T. l'utilise pour exprimer une démarche de foi comme en Esaïe 6/9-10, cité en Mc 4/12) mais un mot du langage ordinaire qui par son caractère concret complète heureusement la notion de metanoia. Les deux mots sont d'ailleurs utilisés quelquefois simultanément (Act 3/19).
Bien comprendre : le pécheur n'est pas appelé à deux choses, mais à une seule, une démarche de l'être entier. Les deux notions visent la même réalité sous un angle différent.

On remarquera que le substantif "conversion" (epistrofh - épistrophé) ne figure qu'une seule fois dans le N.T. (Act 15/3), et les termes de "repenti" et de "converti" sont absents. Et ici s'ouvre un débat sur la nature même de cette démarche. En effet, si le N.T. semble ne pas vouloir nommer les chrétiens comme ceux qui sont passés par la repentance/conversion, est-ce à dire que ces concepts désignent une réalité toujours à conquérir mais jamais acquise ? En d'autre termes on se trouve là devant deux spiritualités :
- évangélique : la conversion est un événement unique ; il y a un avant et un après ;
- catholique : on se convertit tous les jours !

La position évangélique a de bons appuis textuels :
* dans l'immense majorité des cas, les appels à la repentance/conversion sont adressés en situation missionnaire à des personnes qui ne sont pas encore chrétiennes ;
* les verbes metanoew (métanoéo) et epistrefw (épistrépho) sont quelquefois au passé, et désigne donc un acte accompli (ex. Mt 12/41, Act 11/21)
* de nombreux autres passages font référence à une démarche fondamentale qui fait de l'homme (païen ou Juif) un chrétien. Il y a un vécu charnière déterminant exprimé de différentes manières :
- avoir reçu l'Esprit de Dieu (Gal 3/2, 1 Jn 2/20) ;
- avoir été régénéré (1 Pi 1/23) ;
- avoir été éclairé (Héb 6/4, 10/32, et dans un sens proche voir aussi 2 Cor 3/16)
... ces éléments pris ensemble confirment la position qui voit dans la repentance et la conversion une démarche unique et fondatrice pour la vie chrétienne.

Sa faiblesse consiste à ignorer l'usage de metanoew en contexte d'Eglise (Ap 2/5) et sans doute aussi à trop vouloir identifier les signes extérieurs ainsi que le moment de cet événement. L'expérience (exceptionnelle) de Paul sur le chemin de Damas est devenu le paradygme de la conversion chrétienne. Mais qu'en est-il de Pierre (voir Luc 22/32) ? Quand s'est-il repenti et converti ? La réponse est moins simple. La conversion s'inscrit bien souvent dans un processus de rapprochement vis-à-vis du Christ qui peut comporter plusieurs étapes.

La position catholique manque assurément l'essentiel, mais elle n'est pas entièrement fausse dans la mesure ou repentance et conversion ne peuvent être cantonné au passé, mais doivent faire parti de la vie chrétienne. Il ne s'agit pas seulement de venir au Christ, il faut également demeurer en Christ. Ce "demeurer en Christ" implique de demeurer dans l'esprit de la repentance et de la conversion. L'expérience fondatrice doit aussi être celle de tous les jours... et celle de tous les jours est rendu possible grâce à l'expérience fondatrice. Semper peccator, semper justus, semper penitens, le propos de Luther est pertinent. Lorsque le chrétien oublie cette réalité, il s'égare vite dans le légalisme et l'auto-justification, pouvant même faire de "sa conversion" la première de ses oeuvres de propre justice.

Ce point étant acquis, il faut terminer ce chapitre en soulignant le fait : l'appel à la conversion fait partie du kérygme, du message de l'évangélisation. Ce n'est pas une méthode externe qu'on va rajouter au message pour obtenir des résultats visibles... et des adhésions à mon Eglise ! Cet appel fait partie de l'essence même du message. Par 10 fois, on l'a vu, la repentance/conversion sert à désigner le contenu même de la nouvelle à annoncer. "Il faut que la repentance (metanoia) et le pardon des péchés soient prêchés à toutes les nations" (Luc 24/47)
Et si la repentance fait partie du message à annoncer, c'est aussi parce qu'elle est rendue possible par ce message ! La repentance/conversion est, elle aussi, un fait nouveau que Dieu accorde en vue du salut des hommes (cf. Act 5/31, 11/18, 2 Tim 2/25). C'est pourquoi la repentance/conversion fait bien partie de la Bonne Nouvelle.


d/ CHERCHER A PERSUADER

Du point précédent on pourra déjà tirer argument pour mettre en évidence le fait que la parole d'évangélisation ne saurait être une simple information à prendre ou à laisser. Le message a nécessairement une dimension existentielle/relationnelle puisqu'il vise la conversion de l'autre. Il implique donc chez celui qui le porte une volonté, un désir de persuader.
Packer : "Si vous ne cherchez pas à amener des hommes à la conversion, vous n'évangélisez pas". Autrement dit : si vous ne cherchez pas à convaincre, vous n'évangélisez pas.

Ce point fait quelquefois peur ! On pense aux Témoins de Jéhovah et à toutes sortes de manipulations psychologiques. Ces débordements malsains ne doivent cependant pas masquer une réalité bien fondée dans le N.T.. Le verbe peiqw (peïto = persuader, convaincre) fait parti de la panoplie des mots décrivant l'évangélisation comme nous l'avons vu dans le premier cours. Paul cherchait à convaincre aussi bien les Juifs que les Grecs (Act 18/4).
Cette volonté de persuasion s'exprime également par l'utilisation (modeste : 2 usages) du verbe maqhteuw (mathéteuo = faire des disciples). En Actes 14/21 il nous est dit que Paul et Barnabas "firent beaucoup de disciples", mais le verbe apparaît aussi sous forme d'injonction dans le fameux commandement de Matthieu 29/19 : "faites des disciples".
A relever aussi l'utilisation du verbe epistrefw (épistrépho) à la forme transitive : convertir. C'est la mission de Jean-Baptiste (Luc 1/16) et c'est celle de Paul (Act 26/18).

Cette réalité se traduit dans le N.T. par...
1/ une détermination/volonté de ne pas créer d'obstacles inutiles. Si on veut convaincre, il faut faire table rase de tout ce qui va nuire à la communication. Paul est un exemple remarquable : voir 1 Corinthiens 9/19-22. Remarquez dans ce passage l'utilisation massive du verbe "gagner" (sous-entendu : pour Christ) et même celle du verbe "sauver" (Paul étant ici le sujet du verbe !).
2/ une communication qui cherchera à être persuasive, c'est-à-dire attractive et convaincante.
- attractive = qui touche au centre d'intérêt des personnes (voir le discours de Paul à l'Aréopage en Actes 17)
- convaincante = qui apporte des "preuves" de vérité. Dans ce cas, la communication devient une démonstration. Voir Actes 9/22 et le verbe sumbibazw (sumbibazo) dont le sens premier est "renforcer la cohésion" ; et Actes 17/3 et le verbe paratiqhmi (paratithèmi) qui signifie "citer à l'appui". C'est ce que fait Pierre dans son message au jour de Pentecôte. Il argumente à propos de la résurrection à partir du Psaume 16.

C'est ici le fondement de cette branche de la théologie qu'on appelle l'apologétique. Il ne s'agit pas de prouver Dieu et la véracité de l'Evangile (seul le Saint-Esprit donne cette conviction) mais, au moyen de l'argumentation, de rendre le message biblique crédible/plausible. Des ses origines le christianisme a été l'objet d'attaques et de critiques visant à ridiculiser ou tout au moins à rendre non crédible son message. Pour faire face à cela il fallait entreprendre une défense de la vision chrétienne du monde sur le terrain même où elle était attaquée. C'est ce que firent avec beaucoup de brio les "Père apologètes" des premiers siècles du christianisme : on peut citer ici, parmi beaucoup d'autres, Justin Martyr, Méliton de Sardes, Clément d'Alexandrie, Tertullien et Origène. Par la suite, le christianisme étant devenu un fait de société, cette veine apologétique cessa d'être au premier plan des préoccupations chrétiennes. Or, depuis deux siècles, le phénomène de sécularisation de l'Occident a laissé la place à de nouvelles idéologies non-chrétiennes plus ou moins opposées aux principes fondamentaux sur lesquels reposent la foi chrétienne. Il y a donc une impérieuse nécessité à ce que les chrétiens réinvestissent le champ de l'apologétique, qu'ils soient armés pour pouvoir "défendre l'Evangile" comme Paul lui-même le faisait (Phil.1/7 et 1/16 où se trouve le mot "apologie") et comme Pierre nous y exhorte (1 Pi.3/15).


e/ LES SIGNES QUI ACCOMPAGNENT

L'évangélisation est d'abord et fondamentalement une communication par le moyen de la parole verbale. Mais la question qui se pose c'est de savoir si l'évangélisation n'est que cela, ou bien si elle implique également une action/ des gestes/ un faire particulier ? Si oui, quel est cette action, quelle est son importance ? Trois courants théologiques s'affrontent ici et nous allons brièvement les évoquer et évaluer leurs conclusions.

La ligne évangélique (souvent revivaliste) : très fort accent sur la parole ; le "faire" est considéré comme une annexe facultative.
La pratique pentecôtiste : l'évangélisation doit s'accompagner des signes miraculeux décrits dans le N.T.. Ce sont d'indispensables démonstrations de puissance.
Les théologies sécularisées représentées notamment par le C.O.E. : le faire devient primordial. Il faut "manifester" l'Evangile par des actes de paix, de justice et de réconciliation.

Le troisième courant peut être rapidement réfuté. La majoration du "faire" et surtout la minimisation du "dire" ne supporte pas la comparaison avec le N.T.. Il est frappant de constater, dans les déclarations issues des grandes conférences missionnaires (du COE), la quasi absence du vocabulaire biblique sur ce sujet. En réalité, l'évangélisation a été absorbée par ce qu'on a appelé : "la présence au monde".
Harvey Cox : "Toute distinction opérée entre l'action sociale et l'évangélisation est fallacieuse".
De sorte que selon la remarque du sociologue Peter Wagner, dans cette optique "toute bonne oeuvre accomplie par l'Eglise devient de l'évangélisation". Il y a là confusion entre le devoir missionnaire et le devoir éthique ou moral.

La position pentecôtiste se veut plus directement biblique et trouve facilement des appuis dans le N.T. Par exemple :
1 - L'activité de Jésus qui a été à la fois un "faire" et un "dire" : Act 1/1. Ce "faire" c'est guérir les malades, ressusciter les morts, chasser les démons, accomplir des prodiges. Ces actes semblent bien s'inscrire dans la communication de la Bonne Nouvelle et la servir (Mc 2/9-12, Jn 5/36).
2 - Les disciples de Jésus ont reçu pouvoir et vocation afin de réaliser ces mêmes oeuvres (Luc 9/1-2 et 6, Act 5/12).
3 - Cette vocation est celle de toute l'Eglise après eux (Mc 16/15-18, Jn 14/12). C'est là l'évangélisation faite avec la puissance de l'Esprit (1 Th 1/5).
Cette approche peut paraître solidement fondée... et elle l'est pour les deux premiers points ! Mais quant au troisième, nous sommes là sur un sujet de controverse avec le pentecôtisme : dans la perspective réformée et chez beaucoup d'évangéliques, les actes miraculeux accomplis par Jésus et les apôtres sont liés à un moment particulier de l'histoire de la rédemption. Le N.T. n'enseigne pas qu'ils doivent se perpétuer dans toutes les actions missionnaires futures.

Brefs éléments de la critique réformée :
- on ne peut fonder un point de doctrine sur la finale de Marc (16/9-20) qui est reconnue inauthentique par la grande majorité des exégètes et des épigraphistes ;
- dans l'approche pentecôtiste, le lien entre la personne des apôtres et les signes miraculeux est ignoré. Ce lien est pourtant bien établi en 2 Cor 12/12 et Héb 2/3b-4 ;
- le texte de Jean 14/12 est problématique pour tous les chrétiens, y compris pour les pentecôtistes. Il y a nécessité de reconsidérer l'interprétation que l'on fait de cette parole ;
- une approche chronologique du N.T. montre que les signes miraculeux s'estompent avec le temps. A Timothée, l'évangéliste (2 Tim 4/5), Paul ne parle jamais de la nécessité de ces actes dans son ministère.
En conclusion : les signes miraculeux qui ont accompagné la proclamation de l'Evangile avaient un rôle historique fondateur au même titre que le retrait de la Mer des Roseaux et le don de la manne. Dieu n'avait nullement l'intention de les perpétuer.

Reste la position évangélique : évangéliser, c'est proclamer "la Parole"... c'est un fait de parole. Cette approche me semble juste à une condition : c'est qu'on n'oublie pas la forte dimension éthique du christianisme. L'incarnation est au centre de la Bonne Nouvelle, et cela implique que l'éthique est partout. Au contraire des religions à mystère ou des gnoses qui peuvent se transmettre par une seule communication verbale ou rituelle, l'Evangile de Jésus-Christ s'incarne sans cesse dans notre comportement, dans les gestes et les actes que nous accomplissons. Ces gestes, ces actes, ce comportement, ne sont pas évangélisation en eux-mêmes, mais mis en rapport avec la proclamation de la Parole, ils vont constituer, eux aussi, des signeaux/ signes, positifs ou négatifs (cf. Jn 13/35, 17/21, Mt 5/14-16).
Ainsi, entre proclamation de l'Evangile (ce qu'est l'évangélisation) et manifestation de l'Evangile (ce qu'est l'éthique chrétienne), on pourra "distinguer sans séparer et unir sans confondre". Cela ne signifie pas que toute action d'évangélisation doit nécessairement avoir un volet caritatif ou humanitaire, mais cela doit nous rappeler que notre communication n'est jamais purement verbale. Notre mode de communication, notre façon d'être dans cette communication parle aussi... et en ce sens l'Evangile s'accompagne toujours de signes.

Parvenu au terme de cette leçon, il est maintenant possible de donner une définition de ce qu'est l'évangélisation.
Evangéliser, c'est faire connaître le mystère du salut en Jésus-Christ aux hommes et aux femmes qui l'ignorent ou le méconnaissent, en vue de leur conversion et de leur insertion dans l'Eglise.

Cette rédaction s'inspire de celle donnée en 1969 par Mikael Green : évangéliser c'est "proclamer la Bonne Nouvelle du salut aux hommes et aux femmes, en vue de leur conversion à Christ et de leur insertion dans l'Eglise".

Lectures complémentaires
à télécharger

Emile Nicole : "Le Dieu créateur et l'évangélisation"
in Hokhma n°7, 1978 ; pages 46 à 51 ;
René Padilla : "La prédication de l'Evangile et le monde" (extrait) in Hokhma n°27, 1984 ; p. 74 à 76 ;
Pierre Courthial : "Apologie et évangélisation"
in Ichthus n°71, 1977 ; pages 10 à 15
+ petite bibliographie d'ouvrages d'apologétique
Paul Wells : "Comment témoigner, par la parole ou par les actes ? (extrait) in Revue Réformée n°183/1994, p.84 à 87

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