Cours, séquence E
"Pourquoi évangéliser ?"
3. LES GRANDS ARRIERE-FONDS THEOLOGIQUES
a/ le
salut en Christ seul b/ l'importance de la parole dans l'oeuvre de Dieu c/ Dieu, le grand évangéliste |
Après avoir essayé de cerner ce qu'est l'acte
d'évangéliser, nous allons nous intéresser maintenant
à trois grands motifs théologiques qui sont aux
fondements de toute action d'évangélisation, et sans
lesquels d'ailleurs cette action n'aurait pas lieu
d'être, ou bien n'aurait aucune chance de servir à quoi
que ce soit. a/ LE SALUT EN CHRIST SEUL Actes 4/11-12 : "Jésus est celui dont l'Ecriture
affirme : ' La pierre que vous, les bâtisseurs, avez
rejetée est devenue la pierre principale '. Le salut ne
s'obtient qu'en lui, car nulle part dans le monde entier
Dieu n'a donné aux hommes quelqu'un d'autre par qui nous
pourrions être sauvés." La perspective universelle apparaît dès les
premières lignes de la Bible. Les premiers chapitres de
la Genèse posent le cadre dans lequel va se déployer le
message de salut : il s'agit de rien de moins que
l'univers, et en particulier de l'homme dans l'univers.
Cette perspective est largement reprise dans le N.T. (cf.
Rom 8/19-21). Ce dernier, en achevant de poser
l'espérance chrétienne au dessus des contingences de
l'actuelle condition humaine, montre que l'Evangile est
non seulement pour tous les hommes, mais qu'il concerne
également le tout de l'homme. - Certaines idéologies (rares) sont en opposition
complète au schéma chrétien en ce sens qu'elles
admettent que tous les chemins de l'humanité, pris
ensemble et dans leur globalité, sont l'expression d'une
marche en avant, d'un progrès que rien ne
saurait arrêter. Le "salut" est donc
nécessairement au bout de la route. Cette utopie prend
forme, par exemple, dans la philosophie de Hegel, lequel
fait de l'Histoire (avec ses contradictions) le lieu
d'avénement de l'Esprit. Dans ce cas, en effet, la route
du salut a la largeur de l'universel. Où que vous vous
situiez, vous êtes de toute façon pris dans le
gigantesque concert de la pensée humaine progressant de
manière dialectique dans une épiphanie de l'Esprit.
Vous êtes dans le large fleuve qui conduit
inéluctablement à la mer du savoir absolu. - Ce n'est évidemment pas là l'optique des religions
traditionnelles, et avec elles d'un certain nombre de
philosophies. La grande majorité de ces "grands
récits" interprétatifs de la condition humaine
enseignent une voie d'accès vers la félicité,
ou vers le monde meilleur défini dans le système. - Si la singularité réside entièrement dans une
spiritualité, un enseignement moral ou une explicitation
du monde, celle-ci ne peut être absolument radicale.
Mais rien de tel ne peut exister avec une religion dont
les éléments fondamentaux sont de nature historique.
Les faits en eux-mêmes ne se discutent pas (Jean 9/25).
On peut les nier (Jean 9/18), ou tenter de les
réinterpréter (Jean 9/16), mais lorsqu'ils sont
présentés comme la source même du salut, lorsque toute
la doctrine religieuse s'articule et repose sur ces
événements, la religion qui en est issue est unique et
totalement étanche à tout syncrétisme. Ainsi en est-il
pour le christianisme.
Cette singularité forte est difficile
à tenir en contexte de mondialisation culturelle. Le
dialogue religieux est certes toujours possible dans la
mesure où le christianisme est aussi un
discours, qu'il contient aussi une explicitation
du monde et un enseignement moral, qu'il s'exprime aussi
dans une spiritualité, mais la grande tentation c'est
d'évacuer la singularité historique ! De laisser
entendre, par exemple, que le Christ pourraît être
connu de manière implicite dans les spiritualités, les
valeurs et les systèmes prônés par d'autres groupes,
religieux ou non. Les grandes conférences missionnaires
internationales de la première partie du XXe siècle,
puis, par la suite, celles qui se rattachent au COE, ont
fréquemment laissé apparaître cette tentation.
Cette spiritualité du "Christ implicite", qui hante les couloirs de la théologie progressiste, entraîne en même temps une relativisation de la parole comme vecteur de la vérité. On forcera l'opposition paulinienne entre l'Esprit et la lettre (Romains 7/6 ou 2 Corinthiens 3/6) pour affirmer que l'objet de la foi est au-delà de tout discours. Ce faisant, on en vient à oublier complètement le statut de la parole dans la Bible, et le fait que Dieu l'utilise comme premier moyen de grâce. |
b/
L'IMPORTANCE DE LA PAROLE DANS
L'OEUVRE DE DIEU S'il était nécessaire de souligner l'enracinement historique du christianisme (ce qui fonde son caractère irréductible), cela n'est certes pas pour minimiser l'importance de la parole. En réalité, cette notion est hautement valorisée dans la Bible. Nous allons en faire l'analyse au travers des quatre chapitres suivants :
a - Dans la Bible, parler
c'est un acte. C'est une action qui produit un effet
; c'est un agir simplement différent de celui de
l'action physique. Ainsi par exemple, prier c'est
agir ! La louange est aussi un bon exemple de cet
agir par la parole. Qu'est-ce que louer Dieu ? C'est
prononcer des paroles par lesquelles je dis les vertus de
Dieu. C'est typiquement ce qu'on appelle en linguistique,
des paroles "performantes"... elles font ce
qu'elles disent. Autre exemple de paroles performantes :
bénir et maudire. Bénir, c'est annoncer des bienfaits,
et par là même conférer ces bienfaits,
c'est-à-dire faire du bien. b -
Et nous touchons là au deuxième point qu'il faut
souligner : Dieu agit par sa parole. Parvenu à ce point, il est nécessaire de dire quelques mots sur le thème présenté dans le prologue de Jean (ainsi que 1 Jean 1/1 et Apocalypse 19/13) qui identifie la Parole de Dieu à la personne de Jésus-Christ . g -
Le Christ comme Parole. d -
La parole qui nous relie au Christ |
c/ DIEU, LE GRAND
EVANGELISTE La troisième grande affirmation théologique qui fonde la pratique de l'évangélisation, après le salut en Christ seul et le rôle déterminant de la parole dans l'oeuvre de Dieu, c'est la reconnaissance du fait que Dieu lui-même est l'auteur du salut de tous les hommes. Et ceci, pas seulement dans le "une fois pour toutes" de la venue du Christ, mais aussi tout au long de l'histoire, hier comme aujourd'hui, pas seulement dans le fondement historique, mais également dans l'application de ce salut en chaque individu. C'est lui qui, partout et en toute génération, "attire" les hommes au Christ (Jean 6/44, 12/32) et les convertit, leur donne une vie nouvelle, la vie éternelle. Dans un premier temps, cette affirmation peut donner
le sentiment que, loin de fonder la pratique de
l'évangélisation, elle la rend inutile, superflue ! Si
les hommes sont sauvés (de A jusqu'à Z) par l'action
souveraine de Dieu, l'activité humaine n'y ajoutera rien
(et l'inactivité n'y enlèvera rien). Donc, à quoi bon
évangéliser ? On a souvent reprocher cela au calvinisme
(qui met fortement l'accent sur la souveraineté de Dieu)
: ce serait une doctrine qui entraînerait les croyants
dans un quiétisme démobilisateur. En réalité, cette
logique ne correspond pas à la logique biblique : d'une
manière générale, ce n'est pas parce que Dieu fait
quelque chose que nous sommes dispensés de le faire. Maintenant, il s'agit de savoir si la mission
évangélisatrice de l'Eglise prend le relai de
l'oeuvre historique du Christ, ou bien si elle se situe
à l'intérieur de cette oeuvre, simplement comme une
composante de l'action permanente de Dieu pour le salut
de son peuple. Ainsi en est-il dans l'Ecriture, mais on peut s'interroger : En quoi cette disposition du plan de Dieu était-elle nécessaire et constitue-t-elle un des trois piliers de l'action missionnaire ? La réponse se trouve dans la doctrine du péché. Les ténèbres spirituelles provoquées par la chute sont telles, que si Dieu lui-même ne venait pas éclairer les consciences, s'il n'appelait pas lui-même le pécheur à la conversion, nous n'aurions aucune chance de voir quelques fruits en retour de notre évangélisation. Seul l'appel de Dieu est efficace, seul il convainc (Jean 16/8). Ce qui n'empêche pas l'évangéliste de faire son possible pour convaincre (selon la logique biblique décrite plus haut !), mais tout en sachant que seul l'appel de Dieu est efficace. Mais quelle est cette efficacité ? Il faut dire ici un mot au sujet de la querelle qui a opposé les "arminiens"aux "calvinistes". Pour les arminiens, le Saint-Esprit appelle
intérieurement tous ceux qui sont appelés
extérieurement par l'invitation de l'Evangile. Le
Saint-Esprit fait tout ce qu'il peut pour amener chaque
pécheur au salut. Malheureusement, on constate que
malgré cela, nombreux sont ceux qui ne répondent pas et
ne viennent pas à Jésus-Christ. Cela est dû au fait
que l'homme est libre. Il peut donc résister à l'appel
du Saint-Esprit. L'efficacité est limitée aux
portes de la décision humaine. La grâce de Dieu
n'est donc pas invincible. S'il nous paraît légitime d'adopter la position calviniste sur "l'appel efficace", il peut être nécessaire de rappeler que ceci ne court-circuite pas le travail de la raison, et donc tous les échanges de paroles constitutifs de l'évangélisation. La décision pour Christ est une grâce, elle n'est pas pour autant aveugle ! En réalité, celui qui est touché par la force de l'Evangile demande généralement à comprendre, et a parallèlement le sentiment qu'il commence même à voir ce qu'il n'avait jamais vu. Annoncer, proclamer, enseigner, dialoguer, débattre, réfuter... sont les moyens dont Dieu se sert (ordinairement) pour communiquer son appel aux hommes. Et parce qu'il est lui-même agissant, il y a un travail effectif de la parole. (voir 1 Corinthiens 3/5-9). L'évangélisation est donc une façon d'entrer dans le travail rédempteur de Dieu, et d'y participer réellement, tout en sachant que c'est Dieu qui fait naître et qui fait croître. (voir encore Psaume 127/1). |
Lectures complémentaires
à télécharger
Déclaration de Francfort sur la crise fondamentale de la Mission in Ichthus n°6, 1970 ; pages 24 à 28 ; Pierre Marcel : "L'actualité de la prédication" (extrait) in Revue Réformée n°7, 1951 ; p. 11-12 & 3 à 6 ; J.A. Packer
: "L'oeuvre du Saint-Esprit dans la conviction et la
conversion" (extrait) |
Note : plusieurs articles ou extraits d'articles proposés dans ce site sont issus de la revue Ichthus. Tout en remerciant vivement leurs auteurs, nous devons indiquer que cette Revue a malheureusement cessé de paraître en 1986. |