Cours, séquence E
"Pourquoi évangéliser ?"
4. LES MOTIVATIONS DES PREMIERS CHRETIENS
Il y eut, c'est sûr, durant les trois premiers
siècles, des "professionnels" qui
participèrent à la diffusion du christianisme : - les itinérants (apôtres, prophètes, évangélistes) - les anciens/évêques (Irénée, par exemple, fit de grands efforts pour apprendre la langue gauloise afin de pouvoir annoncer l'Evangile dans les villages) - les catéchistes, les philosophes et apologètes (qui écrirent, menèrent des discussions publiques et fondèrent des écoles catéchétiques) cependant, l'agent principal de la mission chrétienne n'a pas été un professionnel quelconque, mais l'homme de la rue (Actes 8/4). Dès son origine, le christianisme a été un mouvement laïc, et il le resta longtemps. "On bavardait à propos de l'Evangile de façon spontannée, avec l'enthousiasme et la conviction de ceux qui ne sont pas payés pour le faire" (M.Green). a/ LE COMMANDEMENT DU CHRIST Il s'agit de la parole consignée en Matthieu
28/18-20. Il est certain qu'au-delà de la personne des
apôtres, il concerne l'Eglise durant tous les temps,
"jusqu'à la fin du monde". Et cependant, les premiers chrétiens évangélisaient
(Actes 8/4 déjà vu, 1 Thessaloniciens 1/6-9).
Personne ne le conteste, la pratique du témoignage
était partie intégrante du comportement de la plupart.
Ils accomplissaient ainsi le commandement du Christ,
même sans commandement, et leur action devenait une part
de l'acte rédempteur de Dieu. C'est là tout le sens du
livre des Actes : la Mission n'est pas seulement un
événement qui vient après le Christ ; en elle l'oeuvre
du Christ se poursuit et va atteindre sa plénitude (voir
Matthieu 24/14). C'est la raison pour laquelle la
prédication de l'Evangile au monde est inclue dans la
confession de foi de 1 Timothée 3/16. |
b/ L'IMITATION
DE JESUS-CHRIST On va porter la Bonne
Nouvelle du salut, parce que Jésus lui-même l'a fait !
Vivre la vie chrétienne en imitation de celle de
Jésus-Christ est un thème bien présent dans le N.T.
Cette conception très forte de la continuité de
l'oeuvre du Christ au travers de ses témoins et
imitateurs peut trouver plusieurs appuis textuels dans
les évangiles. La plupart concerne cependant les
apôtres et la question de l'application de ces paroles
à l'ensemble de l'Eglise n'est pas simple, néanmoins un
thème comme celui de "la lumière du monde"
semble bien devoir transcender la seule personne des
apôtres (comparez Jean 8/12 et Matthieu 5/14). Vouloir faire comme le Maître a certainement été un puissant moteur pour la vie chrétienne (au moins jusqu'au Moyen-Age cf. L'imitation de Jésus-Christ), et pour l'évangélisation. |
c/ LA CROIX COMME
MOTIVATION SUPREME en faveur d'un
témoignage couteux ... Et ceci d'autant plus que l'exemple du Maître, c'est celui d'un témoignage difficile à rendre parce que confronté à l'opposition et aux menaces. Or, c'est exactement la situation que vont connaître les premiers chrétiens. Que voulait dire "imiter le Christ", sinon aller jusqu'au bout de la fidélité, quelle que soient les circonstances. Et c'est un fait : durant les trois premiers siècles, le martyre est souvent devenu le moyen par excellence d'accomplir la vocation chrétienne.
Evidemment, cette attitude a un rapport avec l'évangélisation : on ne se taira pas par peur de la persécution (voir Actes 5/28-29 et 40-41). Si tous n'étaient évidemment pas prêts à aller jusqu'au sacrifice ultime, la légende apocryphe de Quo vadis illustre bien le climat d'alors. Dans le processus d'imitation de Jésus-Christ, la croix a certainement été un élément très fort pour pousser les croyants au témoignage, quoi qu'il en coûte. |
d/ LA
DIMENSION COSMIQUE (UNIVERSELLE) DU
MESSAGE Les premiers chrétiens étaient
"persuadés d'avoir percé le mystère de
l'univers" (M Green). Les traces bibliques de cette vision des choses sont
très importantes : Cette découverte disqualifie d'un coup toutes les
autres pensées et toutes les autres religions (voir 2
Corinthiens 10/5). Quand on fait une découverte de cette importance, on a envie de la crier sur les toits (la joie du découvreur, la joie d'Archimède !). |
e/ LE BESOIN DE
PARTAGER UN SENTIMENT DE PLENITUDE A cette
joie de savoir, s'ajoute toute une série d'expériences
et de motifs qui venaient combler l'existence de ces
premiers croyants. Cette expérience chrétienne de plénitude est
souvent décrite dans les témoignages d'aujourd'hui
(dans le monde évangélique). Les auteurs bibliques,
quant à eux, sont nettement plus sobres et expriment
assez peu leur vie intérieure, néanmoins certaines
proclamations, certaines affirmations de la foi laissent
bien entendre qu'ils connaissaient cette réalité. Cette réalité de foi débouche sur un autre rapport au monde : "tout est à vous", vous n'êtes en manque de rien (1 Corinthiens 3/21-23). Compte tenu de la maxime proverbiale exprimée en Luc 6/45, il est évident que ce sentiment de plénitude a influé sur le comportement des premiers chrétiens en rapport avec l'évangélisation. |
f/ LA
GRATITUDE, LA RECONNAISSANCE ENVERS
DIEU Le motif de la reconnaissance pour
l'oeuvre accomplie par Dieu en notre faveur, et notamment
pour le salut offert grâce au sacrifice du Christ,
concerne bien évidemment toute l'éthique chrétienne.
C'est la puissance de la grâce, beaucoup plus
efficace que les obligations de la loi. Et parce que cela
concerne toute l'éthique, cela concerne aussi
l'évangélisation : ce que Dieu a fait pour nous est
tellement merveilleux, notre délivrance a été d'un tel
prix, c'est la manifestation d'une telle compassion, que
nous serions particulièrement ingrats si nous ne
faisions, de notre côté, tous nos efforts pour faire
connaître à d'autres ce Dieu si extraordinaire... Cette prise de conscience débouche tout naturellement
dans le témoignage :
Cette confession du Christ, l'auteur y insiste, doit être celle d'une vie consacrée, mais dans sa pensée elle inclut le témoignage verbal, lequel peut conduire au martyre. "Ainsi, mes frères, délaissons le séjour d'ici-bas, accomplissons la volonté de celui qui nous a appelés, et n'appréhendons pas de quitter ce monde." |
g/ LA
MANIFESTATION DE LA GLOIRE DE DIEU
ET DU REGNE DU CHRIST Selon 1 Corinthiens
10/31, la gloire de Dieu constitue un des moteurs du
comportement chrétien. Et dans le contexte de ce
passage, agir pour la gloire de Dieu c'est adopter un
comportement qui ne fera pas obstacle à la réception de
l'Evangile (cf. verset 32). Et en fin de compte, c'est
pour que le plus grand nombre soit sauvé (cf. verset
33), il s'agit donc d'une perspective d'évangélisation. Ceci nous amène à découvrir qu'il y a en effet dans
le N.T. un enseignement qui montre que la gloire de Dieu
se manifeste chaque fois que quelqu'un se tourne vers le
Christ (voir Luc 17/18). En Romains 15/7, Paul écrit :
"Christ vous a accueillis pour la gloire de
Dieu". La transformation du coeur de l'homme rend
gloire à Dieu. Cette notion apparaît également dans
l'enseignement de Jésus en Jean 15/8. La manifestation
du règne du Christ sur la vie des hommes est donc
manifestation de la gloire de Dieu Cette spiritualité va de pair avec la vision du "grand nombre" que l'on perçoit au travers du livre des Actes (stratégie de Paul commençant par les grandes cités, l'appel à témoigner à Rome. Par ailleurs les termes "multitude" ou "multiplier" sont très fréquents dans les Actes) et qui annonce la foule innombrable d'Apocalypse 7/9-12. |
h/ LE SENTIMENT D'AVOIR REÇU UNE VOCATION
QUI NOUS HONORE Michael Green fait
remarquer qu'une des raisons qui expliquent le succès du
christianisme primitif, c'est le fait qu'il offrait à
tout un chacun une nouvelle vision de sa place et de son
rôle dans le monde. Cet Evangile du Rois des rois est d'ailleurs
considéré par Paul comme un trésor (2
Corinthiens 4/7, d'où 2 Timothée 2/2) bien supérieur
en importance à la personne qui le porte. L'honneur qui
consiste à être désigné comme représentant du Christ
en annonçant l'Evangile était ressenti comme un
privilège, d'autant plus que la communauté chrétienne
primitive était constituée majoritairement de petites
gens (esclaves et femmes en constituaient une bonne
partie). On a d'ailleurs des indices assez sûr montrant
que des familles romaines ont été amenées à la foi
par leur esclave. Paul lui-même, à plusieurs reprises, dit sa reconnaissance à Dieu pour la vocation qu'il a reçu (voir 1 Timothée 1/12). En toute circonstance on pouvait ressentir l'honneur qu'il y a à être témoin du Christ (voir Actes 5/41). |
i/ UN
SENTIMENT DE RESPONSABILITE
VIS-A-VIS DE LA VOCATION REÇUE "Vous
êtes la race choisie, les prêtres du Roi, la nation
sainte, le peuple qui appartient à Dieu. Vous avez été
choisis afin de proclamer les oeuvres magnifiques de Dieu
qui vous a appelés à passer de l'obscurité à sa
merveilleuse lumière." (1 Pierre 2/9). Le sentiment de responsabilité vis-à-vis d'une vocation reçue est à distinguer de la simple obéissance à un commandement. Ce n'est pas un impératif, mais un indicatif : voilà ce que vous êtes et quelle est votre vocation. Si l'on veut, c'est un commandement indirect qui ne repose pas seulement sur l'autorité de son énonciateur mais sur un état de fait : vous êtes devenu cela. Par grâce, vous êtes devenu lumière pour le monde. Et donc en toute logique : on n'allume pas une lampe pour la mettre sous un seau ! Cet appel à la responsabilité était déjà bien
présent dans les enseignements de Jésus. Les paraboles
"des mines" (Luc 19/11-27) et celle "des
talents" (Matthieu 25/14-30) en sont d'éminentes
illustrations. Et elles ajoutent quelque chose à la
seule responsabilité morale liée à une situation, à
savoir les incidences dernières du comportement de
chacun. |
j/ L'AMOUR DES
HOMMES PERDUS C'est là, sans aucun doute, un motif majeur ! Liée à son Seigneur par des liens de communion si étroit, comment l'Eglise peut-elle ne pas partager "les sentiments qui viennent de Jésus-Christ" (Philippiens 2/5) ? Or, si l'amour de Dieu pour le monde a de multiples facettes (la grâce générale), dans ces temps qui sont les dierniers, il s'est manifesté d'une manière suprème dans le sacrifice du Christ au profit des hommes perdus (Jean 3/16). Et donc, de manière conséquente, les premiers croyants ont partagé cette conviction que leur amour pour le monde (pour les Juifs et pour les païens) devait inclure au premier chef la transmission de l'Evangile du salut. Le sentiment général s'exprime bien dans cette phrase de Paul en 2 Corinthiens 5/14 :
Sans annonce de l'Evangile, il y a "non
assistance à personne en danger" ! Evidemment cette
attitude, si elle présuppose l'amour pour l'autre,
présuppose également une forte conscience de l'état de
perdition de l'humanité. S'il fut un motif majeur pour l'évangélisation, il
est vrai que c'est un aspect du message qui est
aujourd'hui difficile à accepter. Sachons, cependant,
que ce n'était pas forcément évident aux premiers
siècles non plus. Tertullien le reconnaît : "On se
rit de nous quand nous prédisons le jugement de
Dieu". |
k/ UNE SPIRITUALITE
OU L'ETERNITE TIENT UNE GRANDE PLACE Evidemment, cette passion pour le salut des personnes va avec un certain regard sur l'existence ! Un regard qui considère la vie future, la vie éternelle, comme plus importante et plus déterminante pour le comportement que les conditions de la vie actuelle. Il y a là un"savoir" que les chrétiens
d'aujourd'hui peuvent partager, mais généralement de
manière assez théorique. Il est clair que nos
conditions de vie ne sont pas les mêmes que celle des
chrétiens des premiers siècles et cela change la nature
et l'impact de ce "savoir". L'expérience de la
vie n'était pas la même. Pour eux c'était
l'omniprésence de la mort. D'abord à cause des
conditions générales de la vie à cette époque :
mortalité naturelle forte (conditions connues en
Occident jusqu'au début du XXe siècle). Puis en raison
de la persécution dont les vagues se sont succédées
durant trois siècles. Dans ce contexte, chacun
ressentait l'extraordinaire précarité de la vie, de
cette vie ici-bas. Ainsi, les croyants n'avaient pas de
peine à reconnaître leur propre sentiment dans les
textes de la sagesse d'Israël qui font mention de cette
fragilité de l'existence (par exemple, le Psaume 90 ou
l'Ecclésiaste). Avec Jacques, ils confessaient
volontiers que la vie humaine est comparable à "un
léger brouillard" (Jacques 4/14). Le comportement, l'attitude de milliers
de croyants face à la torture et à la mort atteste la
force de cette spiritualité : "Nous croyons en
effet que nous ne souffrirons pas ici-bas de mal aussi
grand - même si on nous enlève la vie - que la
récompense que nous obtiendrons la haut..." (Athénagore, fin du 2ème siècle). |
l/ L'ATTENTE
IMMINENTE DU RETOUR DU CHRIST Il ne faut pas traiter ce sujet de manière monolithique car la notion d'imminence a évolué au cours du 1er siècle. On peut distinguer trois périodes correspondant à trois perceptions différentes de l'imminence du retour du Christ : - celle des origines, sous l'influence du messianisme juif : le Royaume messianique devait survenir d'un instant à l'autre (Luc 19/11). C'est visiblement l'atmosphère qui régnait dans la première communauté de Jérusalem, pendant quelques mois... peut-être 3 ou 4 ans ; - puis la foi murit, et l'on perçoit le sens du temps présent. C'est la période apostolique (jusque vers 65) ; on pense certainement à un retour durant cette génération (Matthieu 24/34, 1 Thessaloniciens 4/15) ; - puis on abandonnera cette hypothèse, conscient que
le temps de Dieu n'est pas le même que le notre (2
Pierre 3/3-4 et 8-9). Mais il est intéressant de noter
que cette dernière conception pleinement murie de
l'attente ne va pas faire disparaître le sentiment de
l'imminence (voir Apocalypse 22/20). Quelle que soient donc les représentations que l'on a
pu se faire du retour du Christ, il reste que le Seigneur
viendra "comme un voleur dans la nuit". Il faut
donc être prêt. Ce temps est celui de la patience de
Dieu et il a une finalité : c'est "afin que tous
aient l'occasion de se détourner du mal" (2 Pierre
3/9). C'est donc par excellence le temps de
l'évangélisation et de l'appel à la conversion. Et puisque ce temps est perçu comme limité, il y a
nécessairement urgence. Il est évident que
l'apôtre Paul a vécu dans ce sentiment de l'urgence.
Enfin, cette conscience de l'urgence est elle-même à
double sens : |
Peut-être avez-vous remarqué que dans cet énoncé
des motivations des chrétiens des premiers siècles en
faveur de l'évangélisation, je n'ai pas parlé du
Saint-Esprit ! Et pourtant, à l'évidence, son rôle est
déterminant (Actes 1/8). Le changement d'attitude des
disciples avant et après la Pentecôte en est une claire
illustration. FIN |
Lecture complémentaire
à télécharger
Michael Green : "L'Evangélisation dans l'Eglise primitive" Editions G.M. 1981; p. 294 à 309 ; |